Une introduction à Dear Esther

    Il était temps, enfin, qu’angETF ou moi venions vous parler de Dear Esther.
    Si je devais le qualifier, j’emploierai le terme de balade ou de promenade numérique.
    Développé par thechineseroom (un projet de recherche de l’université de Portsmouth) et sur un concept de Dan Pinchbeck, Senior Lecturer en jeux vidéos et médias interactifs à l’Université de Portsmouth, à la base un mod de Half-Life 2 (auquel il emprunte, donc, le moteur Source), Dear Esther est à la fois bien moins qu’un véritable jeu vidéo, et pourtant énormément plus qu’un simple jeu vidéo.


    Il l’est moins, au sens où il propose très peu d’interaction. Le déplacement se fait en vue à la première personne, le contrôle du personnage, Esther, se fait au clavier et à la souris. Seul le clic droit permet de se rapprocher de ce que l’on veut observer. Sans puzzle ni énigmes, la balade s’effectue à la vitesse choisie par le joueur, qui peut s’attarder à la contemplation d’une plage ou au contraire achever une exploration, certe partielle, en une heure.
    Il l’est pourtant bien plus, au sens où il plonge le joueur dans une ambiance particulière, avec brio. Perdue (ou simplement débarquée ?) sur une île déserte de l’archipel des Hébrides, Esther va explorer l’île de l’aube au coucher du soleil, de ses plages de sable fin aux grottes aux tons glauques ou bleutés, aux cahuttes de bergers en hauteur d’une colline.
    Le moteur Source permet la création d’une île proche du photoréalisme, alliant à la fois une multitude de tonalités de couleurs ainsi qu’un éclairage très travaillé. Celui-ci est souvent l’effet de bougies et de lumières, qui se reflètent tantôt sur l’eau tantôt sur les murs d’un renfoncement couvert d’inscriptions à la peinture blanche.
    Cet éclairage mystérieux, presque féérique par endroits — mais gardant toujours une étrangeté parfois dérangeante, souvent excitant notre curiosité —, immerge le joueur dans une ambiance sonore parfaitement réalisée, immersive, créant une atmosphère à la fois apaisante et dérangeante, mélancolique et tragique.


    En plus d’une bande originale spécialement réalisée pour le « jeu », la seule voix que l’on entendra — qui ne comprend ni tutoriel ni cinématique (sauf une, finale) — est celle, narrative, d’un homme, décrivant là sa découverte de l’île, ici sa maladie et la visite d’Esther à son chevet, à la manière de fragments de lettres écrites pour elle. On comprendra petit à petit que notre visite sur l’île n’est pas fortuite : le narrateur fait intervenir dans l’histoire deux ou trois autres personnages, l’un qui aurait découvert l’île et établit une carte d’icelle (Donnelly), un autre ayant été impliqué dans un grave accident de voiture qui eut des conséquences graves pour Esther.
    L’ambigüité de ces personnages n’est jamais levée, le narrateur pouvant apparaître tour à tour comme l’amant d’Esther, le créateur, ou le (re)découvreur de l’île selon les passages lus. Ceux-ci s’activent lors du passage du personnage en un point précis de l’île : charge au joueur de visiter et de revisiter l’île pour ne rien perdre. Le narrateur est une figure omnisciente, à la fois celle d’un amant ou encore d’un père ou d’un guide, qui attend le personnage où qu’il aille (sauf à le tuer), mais qui ponctue l’expérience. L’attention apportée au texte, le style des passages lus dépasse celui de la simple correspondance manuscrite, pour révéler un auteur derrière le narrateur :

« Reading Donnelly by the weak afternoon sunlight. He landed on the south side of the island, followed the path to the bay and climbed the mount. He did not find the caves and he did not chart the north side. I think this is why his understanding of the island is flawed, incomplete. He stood on the mount and only wondered momentarily how to descend. But then, he didn’t have my reasons. »

    En tant que telle, c’est donc aussi une figure du créateur ou du géniteur au sens large, qui par sa connaissance de l’île pourrait aussi bien en être le découvreur primordial, et l’inventeur des découvertes passées de l’île. Dans ses lettres s’exprime une volonté de trouver cette île, en l’ayant parfois perdue (« Et pourtant, en me retournant sur cette route, j’étais sûr d’avoir passé [le croisement qui mène à l’île] »). À travers cette recherche de l’île, puis son exploration par Esther, le narrateur demande au personnage de contempler son œuvre, de s’y immerger pour n’en pas ressortir. L’expérience vécue par le joueur peut être perçue comme celle de la création d’une œuvre, représentée son créateur lui-même.
    Et c’est bien là tout le suc, toute la saveur de ce jeu, qui propose une expérience de quelques heures d’exploration, de contemplation, de rêverie poétique.
    On pourrait qualifier ici le joueur de « spectateur augmenté », capable de déplacer la caméra ou d’effectuer de légers zooms dans une création artistique construite à plusieurs niveaux de lecture. Il se balade dans un monde construit à son attention, une île, déserte, peuplée seulement de quelques oiseaux et de souvenirs.

Les développeurs aiment-ils les voitures ?

Je suis retombé quelque peu par hasard sur une installation de Borland C++ 5.02. C’était un logiciel professionnel pour faire du développement, dans les années 90. Les standards de présentation de l’époque n’étaient cependant pas les mêmes qu’aujourd’hui :

Je trouve que le pourcentage d’avancement dans le compteur de vitesse est trop mignon. 🙂